Immigrés de force

Les travailleurs indochinois de la seconde guerre mondiale

Pham Van Nhân

Pham Van Nhân

64ème  compagnie
Matricule : ZTW 605
87 ans au moment de l’interview
Recruté comme interprète
Vit en France

Rencontré le lundi 3 décembre 2007 chez lui, à La Grande Motte.

 

Bien que pas du tout trotskyste, Pham Van Nhân est un vieux copain de Hoang Khoa Khoi, le leader trotskyste. « Nous nous sommes connus en 1939 au Vietnam. Nous étions dans le même convoi pour partir en France. Je l’ai rencontré au camp d’isolement à Saïgon. Je l’ai emmené avec moi une semaine au Cap Saint Jacques ». C’est par le leader trotskyste que j’avais obtenu l’adresse et le téléphone de cet homme d’une stupéfiante vivacité d’esprit. Que de noms et de dates a-t-il été capable de faire jaillir de sa mémoire ! En plus, M. Phan possède un parcours complètement original : c’est le seul à s’être finalement installé en France, après être pourtant rentré au Vietnam ! Ancien cinéaste, il connaît la valeur des images. Très tôt, il en collectionna de nombreuses sur sa vie et celle des ONS. A mon plus grand bonheur, il me permit de les reproduire.

Originaire du Nord du Vietnam, Pham Van Nhân est né en 1920 à Dong Ngac, petit village à 10 km à l’est de Hanoï (province de Ha Dong), mais aujourd’hui intégré à l’agglomération de la capitale. Fils d’un notable, trésorier du village de Dong Ngac, M. Pham était en 1ère au lycée privé Thang Long, à Hanoï, lorsqu’il s’est engagé comme interprète pour partir en France. Il débarque à Marseille à bord du Le Minh, sur lequel ont voyagé quatre autres anciens ONS que j’ai retrouvés : Hoan Khoa Khoi, le leader trotskyste, Dào Van Thinh, le couturier de Haïphong, Trân Công Giao, le comptable de Nam Dinh, et Vu Quôc Phan, le bras droit de Toudet. Sa compagnie est envoyée à L’Horme, dans la Loire, près de Saint-Chamond, du côté de Saint-Étienne. L’usine, Les Aciéries du Nord, fabriquait des ailes d’avion. Après l’Exode, il se retrouve dans le camp de Vénissieux, où sont rassemblés quelques deux mille ONS. Très vite, le voilà détaché à Lyon dans le bureau du chef de la légion, le colonel Valent Falendry. En 1943, il suit le service de la M.O.I. qui déménage rue de Presbourg, à Paris. Il loge au Palais du peuple de l’Armée du salut, rue des Cordelières. Il participe aux côtés de Hoang Khoa Khoi à la dénonciation du colonel Decotton, et se retrouve mis à la rue. Il est hébergé un temps chez la compagne de Khoi. Pour manger, il échange des cigarettes contre du riz.

Je ne me suis jamais engagé dans la politique. Khoi a essayé de m’y entraîner. J’ai assisté à quelques réunions, mais ça ne me disait rien. L’opinion des hommes change tout le temps. Il n’y a rien de réel. Demain, la même chose devient détestable. Aujourd’hui Pétain, demain De Gaulle…. Du temps de Pétain, tout le monde chantait « Maréchal nous voilà, tu nous a redonné l’espérance… » (il chante en vrai). Les Français ont chanté ça, très nombreux. Après c’est De Gaulle qui sauve la France. Après c’est Thorez, le communisme… Il n’y a rien de réel. En tous les cas, je n’avais pas envie de rentrer au Vietnam, pas du tout !

À la Libération, il travaille comme électricien pour les Américains. Lorsque Ho Chi Minh vient en France pour la Conférence de Fontainebleau, à l’été 1946, il est opérateur, preneur de vue et monteur sur le film que le peintre vietnamien Mai Thu consacre à l’événement. Il est ensuite engagé dans l’usine de construction de caméras de Léo Joannon.

Léo Joannon était un metteur en scène français, marié avec une Vietnamienne. Pendant l’Occupation, il a été considéré comme collaborateur des Allemands. À la Libération, il s’est retrouvé interdit de tourner des films. Il se mit à vendre un nouveau type de caméras, les ETM 16mm à tourelles trois objectifs, mises au point par l’ingénieur Beaulieu. Joannon m’engagea pour contrôler la fabrication de ces caméras. J’ai travaillé pour lui pendant plusieurs années. Je contrôlais les caméras à la sortie de l’usine. Je faisais des morceaux de films test. À cette époque, j’habitais Courcelles-sur-Yvette, dans la Vallée de Chevreuse. Je prenais le train pour Paris, puis le métro pour la Porte Maillot, puis le bus jusqu’à Neuilly. Il était très difficile de trouver un logement. Je me suis marié en 1947 avec une Française. Ma femme ne travaillait pas.

Parallèlement, il se lance dans son premier film, avec comme sujet les étudiants vietnamiens en France. Montrés sur les écrans au Vietnam, ce film est un succès, et lui rapporte de l’argent, ainsi qu’un budget confortable pour en tourner un second. Plusieurs films suivront. Financièrement très à l’aise, il part en 1957 au Vietnam, en avion, tourner de nouveaux films. Il reste à Saïgon, du côté des Américains, et revoit enfin ses parents. En 1960, il y construit un laboratoire de développement et montage de films. En 1965, convaincu que les communistes finiraient par occuper tout le pays, il cesse toute activité au Vietnam.

En 1965, ma seconde femme, une vietnamienne, possédait un restaurant vietnamien, rue de Gramont, près de l’Opéra. On exploite le restaurant, et on fait beaucoup de choses à côté. Mais j’arrête de faire des films. Chaque année, nous allons au Vietnam. Le laboratoire continue de rapporter de l’argent. On a construit une maison à Nemours. Vers 1983, nous nous retirons à la Grande Motte.

Sa seconde femme, vietnamienne, est décédée il y a neuf ans. Son fils s’est établi aux Etats-Unis, où il a ouvert un restaurant français. Il y a un an, il est rentré en France prendre sa retraite. M. Pham est en liaison avec seulement deux anciens ONS : Khoi et Van Quynh, qui vit en Bretagne. À l’étage de sa petite maison, M. Pham a installé une véritable table de montage de films numérique. A l’époque de notre rencontre, il était en train de mettre au point un vélo à moteur électrique.